Halimi Abdallah
« Notre région est riche en potentiel du terroir. Nous avons les 2/3 de la production du cactus marocain qui se trouve dans la région Guelmim Oued-Noun. C’est un produit à forte valeur ajoutée et duquel découle aussi un certain nombre de produits cosmétique, de l’huile de figues de barbarie », (Mbarka Bouaida ; Présidente du conseil régional Guelmim Oued-Noun ; Med1 Tv)
« Le cactus, plus précisément le figuier de barbarie, est une plante d’avenir pour l’alimentation et le fourrage ». (Réunion des experts de la FAO, décembre 2017).
Au niveau national, le cactus a été introduit au Maroc en 1770. La superficie des cactus a considérablement évolué au cours des dernières décennies, passant de 50 000 ha à plus de 120 000 ha entre 1998 et aujourd’hui. (FAO : ECOLOGIE, CULTURE ET UTILISATIONS DU FIGUIER DE BARBARIE ; Rapport de 2017)
Le cactus : Région Guelmim Oued-Noun
Au niveau de la région Guelmim Oued-Noun, le figuier de barbarie occupe la deuxième place après l’arganier. Selon les données de la Direction régionale de l’Agriculture, la superficie plantée de buissons de cactus est estimée à environ 88.000 hectares, dont la plupart sont situés dans les provinces de Sidi Ifni et Guelmim, De 1987 à 2011, la superficie plantée est passée de 2 390 ha à 3 720 ha, soit une augmentation de 56%.
En 2020, la production du cactus a atteint environ 500.000 T ce qui a contribué à la création à plus 740.000 jours de travail et réalisant un chiffre d’affaires de 700 MDH et une valeur ajoutée d’environ 411 MDH. (Direction régionale de l’agriculture).
Au niveau de la province de Sidi Ifni, pays du cactus, le cactus s’étend sur une superficie de plus de 51.000 ha avec une production de plus 290 000T/T, selon la même source. Environ 50% de cette production, soit 150 000 T est destinée au marché national générant un CA d’environ 480 MDH.
Ait Baâmrane, le pays de figues du Barbarie
La région d’Ait Baâmrane est connue comme étant la capitale du cactus du Maroc. Elle est bénie par le bon climat qui favorise à plus de 45.000 hectares de terres la production d’un grand nombre de figues de Barbarie, environ 30% de la production nationale de cactus avec un rendement de plus de 8 T/Ha. Ainsi, la figue de Barbarie représente 57% de l’activité agricole dans cette zone. (PAMPAT : Projet d’Accès aux Marchés pour les Produits Agroalimentaires et du Terroir )
Sur la route vers la tribu d’Ait Baâmrane, à partir de la ville de Sidi Ifni, Chef-lieu de la province, et à travers Mesti et Sbouya, elle vous accueille sur les bords de la route cette plante magique avec sa couleur verte et ses fleurs mûres, à cette époque de l’année, annonçant le début d’une nouvelle saison. La figue de barbarie est un fruit qui pousse à l’état naturel qui n’exige pas de grande quantité en eau. « C’est la raison qui nous laisse préférer le figuier de barbarie aux autres cultures car il résiste à la sècheresse, un réservoir d’eau d’où son besoin est moins exigent que les céréales », nous fait savoir Lahcen B. un petit exploitant.
La région est célèbre par ces deux variétés : « Assa » et « Moussa », deux variétés très recherchés pour leur qualité, leur saveur « on sent vraiment la saveur de ce fruit une fois mis dans sa bouche ».
La récolte du cactus est échelonnée en deux périodes : la première période dite précoce pour la variété « Aissa » : Juin-Août et la période tardive pour la variété « Moussa » : Septembre-décembre. La productivité peut atteindre quatre caisses par pied pour la variété Moussa et seulement trois caisses pour la variété Aïssa (soit respectivement 130 et 115 kg et à raison de 35 kg par caisse), DPA-Sidi Ifni.
Une force économique : Activité Génératrice de Revenu (AGR)
La production de la figue de barbarie est considérée comme un moteur économique local. Elle offre ainsi des opportunités d’emploi, en particulier pour les femmes. Cette «Plante d’avenir» permet à chaque producteur un revenu d’environ 10.000 DH/Ha, le cas d’une meilleure saison. La culture de la figue de Barbarie reste la source majeure de revenus des habitants.
«Cet arbre est notre vie, un Don de Dieu aux pauvres qu’on doit sauver de toute dégradation», slogan répété par les habitants de la région.
La production est marquée par de petites exploitations gérées par 1200 producteurs qui profitent de leurs productions, une source de revenus constante.
Cependant, les producteurs de la région souffrent aussi des différents intermédiaires spéculateurs comme c’est le cas des autres produits agricoles. « Nous confrontons à chaque saison aux problèmes de commercialisation du fruit ; des grossistes et semi grossistes venant des grands villes avec leurs logistiques et qui influencent le marché et privent les producteurs de vendre directement leurs produits aux détaillant sans passer par la chaine de commercialisation des gros marchés » ; nous explique des experts.
La femme et le cactus : quelle relation ?
Selon différents les récits des habitants de la région, la femme était toujours aux côtés de l’homme pour s’occuper du cactus, elle s’occupe davantage de l’entretien de cet arbre, de sorte qu’elle considère ce fruit comme une source de revenus, même si elle était limitée.
Tôt le matin, ces femmes se dirigent vers les champs pour le ramassage du fruit. « On préfère ce moment de la journée pour éviter les épines très solides du fruit », nous explique lalla Fatim, une femme d’une grande expérience.
Ces femmes racontent leur nouvelle expérience de vie avec satisfaction : « Le cactus nous a permis une certaine indépendance financière. Aujourd’hui on arrive à aider nos maris à répondre aux besoins de la vie, en particulier ce grand intérêt de permettre à nos enfants de poursuivre leur scolarité, Dieu merci ».
Le cactus : un patrimoine historique et naturel de la région
Pour les habitants : « Le cactus un arbre qui pousse partout, il représente un patrimoine social, une ressource pour la population, et un patrimoine culturel » .Le cactus est un trésor précieux avec lequel ils tissent une relation amoureuse depuis l’entrée de ce fruit dans la région, il y a plus de 150 ans selon certains habitants. Les différents facteurs naturels (sécheresse, érosion, maladie …) n’ont pas pu créer une rupture entre les habitants et le fruit du cactus.
La valorisation du cactus
Sur l’ensemble du territoire d’Ait Baâmrane, le cactus était un arbre marginalisé. A la fin des années 90, l’implication de certaines institutions nationales et étrangères, Ministère de l’Agriculture, l’ADA, INRA-Rabat, OXFAM, Ambassade du Japon au Maroc, ont montré aux exploitants les diverses vertus nutritives, cosmétiques, fourragères de cet arbre. Cette valorisation a été marquée par trois étapes :
1ère : La création de la coopérative féminine « Aknari »
Avec le soutien d’OXFAM-Québec, l’Association Ifni Ait Baamrane pour le Développement a créée, au niveau de Sbouya, le 23 janvier 2001, la coopérative « Akanari » (appellation amazigh du produit).
La coopérative s’est appuyée sur le développement des moyens de commercialisation des produits transformés, l’amélioration des conditions économiques et sociales de 35 femmes adhérentes à la coopérative.
En 2004, le pari de la coopérative est gagné. Grâce au financement de la coopération Japonaise et Canadienne au Maroc, la coopérative a mis en place de la première unité agro-alimentaire de transformation. Sa première activité était la production d’environ 1 000 bocaux de 450 g de confiture, des filets en conserve à partir des raquettes et l’extraction d’une huile à partir des graines d’une valeur de plus de 3 000 DH/ litre (2005) et vendu à plus de 10 000 DH/Litre en 2016. Depuis, cet huile est classé la plus chère au monde, car « il faut 1000 kg de figues pour produire 30 kg de graines pour extraire un litre d’huile ».
2ème : Indication géographique protégée (IGP) « Sobbar Ait Baâmrane »
Pour une valorisation du produit et une dynamique économique de la région d’Ait Baâmrane, la province de Sidi Ifni, a vu la création de Groupement d’Intérêt Economique, « GIE-Sobbar Ait Baâmrane ». Ce groupement a permis de rassembler les producteurs des différentes coopératives « l’objectif est de structurer la filière et de représenter l’ensemble des producteurs ». « Le GIE nous a permis de développer notre production à 10T/ha, ceci nous aussi permis de développer nos sources de revenus surtout dans notre zone pauvre et au climat aride », nous explique des membres de la coopérative , lors de édition du « Moussem Aknari », 2016.
En 2011, une Indication Géographique Protégée : IGP « Figues de Barbarie Ait Baâmarane » a été reconnue et dont l’objectif est « la protection juridique des deux écotypes Moussa et Aissa contre tout sort d’exploitation négative et la perte de la qualité et la notoriété des figues de barbarie d’Aît Baâmrane sur le marché ». (BO N°5978 du 15 septembre 2011).
Il s’agit « d’organiser et promouvoir l’esprit coopératif entre les acteurs de la chaîne de valeur, renforcer l’économie de la région et des familles qui cultivent et exploitent le cactus, renforcer le rôle environnemental du cactus et son impact sur la préservation des ressources (sol, biodiversité,…) et promouvoir des pratiques agricoles conservatrices et respectueuses de l’environnement », (PAMPAT).
3ème étape : La construction d’une unité de conditionnement du fruit du cactus
Cette étape a connu l’inauguration, le 28 juillet 2013, d’une unité de conditionnement de figue de barbarie. Ce projet porté par le GIE-Sobbar Ait Baâmrane a siblé l’ensemble des producteurs du cactus, soit 1 200 producteurs. Cette structure industrielle « vise la valorisation de la filière, la commercialisation de plus de 17 000 T de fruits frais au niveau national (80%) et l’export (20%) ».
Réalisée sur une superficie de 2 400 m2 et coût global de 21.8 MDH, cette structure est équipée d’une chaine de conditionnement : désépineuse, calibreuse, laveuse de caisse et d’un show-room.
Le 13 octobre 2014, le Maroc et le Japon ont signé un protocole de coopération de création d’une unité d’extraction d’huile du cactus dont la capacité de production est de 5 000 litres/An et ce dans le cadre d’une coopération avec le groupe « JCB Japon Co. » et l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA) en coordination avec l’Agence pour le Développement Agricole (ADA).
4ème : Le Moussem d’Aknari
Pour les organisateurs, cet événement annuel, organisé en plein saison de cueillette, « vise la valorisation et la promotion les produits locaux de terroir, dont la figue de barbarie et dérivés et de faciliter leur commercialisation au Maroc et leur exportation à l’étranger sous forme de produits diététiques et cosmétiques ».
Coopérative et développement de tourisme rural
La région d’Ait Baâmrane présente plusieurs potentialités pour le développement solidaire de la région. Les touristes nationaux et étrangers sont de plus en plus attirés par les produits de terroir à savoir l’huile de cactus.
Cependant, les touristes préfèrent connaitre la traçabilité du produit, sa qualité et surtout son hygiène. « Notre présence à l’occasion du « Moussem » est un moment très enrichissant pour découvrir ce savoir ancestral de la femme rurale de sud du Maroc. On est donc ici pour contribuer à la survie de ces entreprises traditionnelles créées par ces femmes démunies » ; un visiteur de Casablanca, édition 2019. Au stand de la coopérative « Aknari » etb avec un grand sourire, des membres sont satisfaites de voir affluer des visiteurs nationaux et étrangers pour découvrir leurs produits. « Nous sommes toutes fières de voir nos produits à base de cactus local qui s’offre en cadeau d’ami,c’est un symbole de reconnaissance ».
Perspectives
Aujourd’hui, l’activité des coopératives et ses adhérentes ne doit pas se limiter à l’entretien de la plante, à la cueillette de la récolte, mais elles doivent développer leurs compétences au niveau de contrôle du produit, de l’hygiène et la bonne traçabilité : de la récolte à la transformation.
Les coopératives doivent assumer leur responsabilité pour une préservation de la ressource, de lutter contre toute exploitation non contrôlée.
Au niveau touristique, la mise en place d’un info-kiosque touristique permet de valoriser les potentialités touristiques de la Province de Sidi Ifni, spécialement son arrière-pays, le cas du pays de cactus » (SMIT ; Société marocaine d’ingénierie touristique).
Sources:
- Monographie Guelmim Oued-Noun
- La MAP
- INRA-Rabat
- DPA-Sidi Ifni