Halimi Abdallah ([email protected])
« La création de cette Maison est de limiter la déperdition scolaire au niveau de la commune, d’offrir une main d’œuvre qualifiée agricole dans la région » ;, Youssef Jebha ; président de la Coopérative agricole Zaouia ; (Sebt El Guerdane, Conférence internationale du mouvement MFR, 19 janvier 2023).
La formation professionnelle par apprentissage
La formation est un axe très important dans le développement du secteur agricole. Conscient de son importance, l’Etat marocain a mis en place en 2000, la formation professionnelle par apprentissage, une formation dispensée dans des Centres de Formation par Apprentissage (CFA). Eclairage.
Aujourd’hui, le ministère de tutelle accorde une importance majeure à la formation agricole pour pouvoir accompagner la stratégie « Génération Green 2020-2030 », un projet qui a pour ambition de faire du secteur agricole au Maroc le principal moteur de développement économique et social
Pour assurer une formation professionnelle agricole à des jeunes issus du monde rural, le Maroc a ainsi pensé à la création d’une nouvelle structure de formation : les Maisons Familiales Rurales (MFR). C’est ce modèle-là qui sera dupliqué partout dans le monde, un mouvement international qui contribue au développement du secteur agricole, en particulier dans le monde rural.
Les Maisons Familiales Rurales (MFR): l’historique.
La première Maison Familiale Rurale a été créée en 1937, dans le Lot-et- Garonne, par des paysans, parents d’élèves déscolarisés désireux de former leurs enfants aux métiers de l’agriculture. Cette création est alors basée sur trois principes : « la responsabilité des parents, la formation en alternance et le développement du territoire ».
MFR au Maroc : les dates clefs
Entre 1995 et 1997, le Maroc a entamé des sessions d’évaluation des besoins en formation et une sensibilisation des responsables de l’Enseignement agricole au concept des MFR. Un an après, une expérimentation sur le terrain a connu le jour pour déterminer les principes de ce nouveau concept d’apprentissage.
En 2000, le Maroc a connu le démarrage des MFR avec l’appui des MFR d’Aquitaine. De 2003 à 2007 une structuration du réseau MFR a été lancée pour accompagner ces maisons familiales.
Maroc : les premières associations MFR
La loi 12.00 (1) mise en place par le gouvernement a encouragé la création de centres de formation par apprentissage, telles que les MFR. Cette loi a facilité les conditions d’accès des jeunes élèves qui ont abandonné l’école, pour différentes raisons. Le modèle des MFR est alors devenu complémentaire dans la formation professionnelle de ces jeunes majoritairement adolescents. Ainsi cette nouvelle structure a eu pour objectifs d’accompagner ces jeunes dans la réalisation de leurs projets personnels, l’implication des parents et une participation au développement durable local.
En 2000, le Maroc a donc connu la création des premières associations locales MFR, des associations qui réunissent des parents agriculteurs et des professionnels du secteur pour définir les contours de leur projet : « concourir à l’éducation et à la formation de ces jeunes adolescents, fils d’agriculteurs mais aussi à leur insertion professionnelle ». En collaboration avec le Ministère de l’Agriculture, les MFR lancent les premières sessions de formation de futurs agriculteurs.
Deux moments ont marqué la naissance des MFR : la création en septembre 2002 de l’Union Nationale des MFR marocaines (UNAMFR), porte-parole des MFR du Maroc. Le deuxième est la signature de conventions tripartites entre MFR, le Secrétariat d’Etat de la Formation professionnelle et le Ministère de l’Agriculture. Ces conventions ont permis de favoriser le financement de ces maisons et la reconnaissance de leurs diplômes.
En 2006, le Conseil du gouvernement, le Premier ministre Driss Jettou « a donné des directives en vue de la promotion du mouvement des MFR pour en faire un véritable levier pour une meilleure formation et insertion des jeunes ruraux », (Grain du Ciel, N° 28, Mars-Mai 2007)
Pour les promoteurs de ce projet, la création de ces MFR a permis de répondre à un grand besoin de formation pour des jeunes élèves de 15 à 35 ans dans les métiers d’agriculture. Il s’agit d’acquérir une formation professionnelle «qui tient compte de l’intérêt de ces jeunes stagiaires ruraux», de favoriser un développement durable des territoires où ces maisons sont implantées.
Aujourd’hui, le Maroc compte dix MFR gérées par des Associations des parents d’élèves au nombre de 166 acteurs associatifs bénévoles et plus de 975 adhérents. La formation est encadrée par plus de 54 formateurs qui dispensent cette formation au sein des maisons et à travers les fermes (+ de 350 fermes) et stations de conditionnement et d’élevage.
Une formation par alternance
Le principe de base de ces maisons est l’alternance, le fil conducteur de cette formation. Le jeune stagiaire reçoit une formation théorique au sein du centre d’une semaine en tant qu’interne, soit 20% de l’ensemble de la durée de la formation et 3 semaines dans une exploitation agricole, soit 80 %.
Cette formation par alternance permet aux jeunes élèves « d’approfondir leurs acquis, leur savoir-faire afin de réussir leur insertion professionnelle par une reprise ou une mise à niveau de leurs exploitations familiales ».
Depuis sa création en 2000, les MFR-Maroc ont réussi une formation annuelle de 400 à 500 de jeunes ruraux, soit plus de 9.000 lauréats, dont 13% filles de fellahs.
Les résultats de l’étude menée par l’agence belge COTA sur les trajectoires d’insertion socioprofessionnelle des jeunes et adultes ayant suivi des formations dans les MFR-MAROC montre que : 54% des lauréats des MFR-Maroc travaillent en tant que main d’œuvre; 4% des projets de relève des exploitations familiales; 8% un taux des projets personnels agricoles; le taux de satisfaction de la formation répondant aux besoins des jeunes est de 87%; de 40% à 94% un taux qui montre l’indépendance des jeunes de leur famille; un taux d’insertion de 86% et un revenu moyen après insertion de 3.000 à 3.800 DH. Rappelant que d’autres lauréats ont choisi de suivre d’autres filières au sein des MFR ou leurs études dans des instituts supérieur d’agronomie.
Les MFR du Souss Massa
L’agriculture reste le secteur clé de la région Souss Massa. Les ressources en sol de la Région sont estimées à 1 200 000 ha dont 453 545 ha de SAU réparties en SAU irrigables de 174 862 ha. Les agrumes et les primeurs constituent les principales productions de la Région. Le secteur agricole de la région représente 13% du PIB national. Cependant le taux d’analphabétisme des très petits fellahs, l’exode rural, le manque de technicité moderne, sont des handicaps qui entravent l’amélioration de la production, la qualité et les revenus de ces petits agriculteurs.
Conscients de l’importance de la formation agricole, des paysans de la région se sont lancés, en 2002, dans la création de la première MFR à Ouled Aissa, Province de Taroudant, par M. My M’Hamed Loultiti. Aujourd’hui la région Souss Massa compte cinq principales MFR: Oulad Yahia et Sebt Guerdane (Province de Taroudant) et Chtouka (province de Chtouka Ait Baha), Souss Massa à Ouled Berhil et El Kheir dont le démarrage est prévu en septembre 2024 .
« Il s’agit de Centres de formation à proximité des exploitations familiales crées pour répondre à un défi majeur : la modernisation des exploitations, la relève dans l’activité agricole, la formation d’une main d’œuvre qualifiée », explique M. Abed Bounit, président de la MFR-El Guerdane, Président de l’Union Nationale des MFR (UNAMFR). L’implantation de ces MFR assure à la région une main d’œuvre qualifiée en vue de moderniser le secteur, d’améliorer la production et la qualité des produits pour une meilleure compétitivité.
MFR Sebt El Guerdane
La Maison Familiale Sebt El Guerdane est créée le 20 février 2005 à l’initiative de la Coopérative agricole El Guerdane, la Coopérative agricole Zaouia et la Coopérative agricole COPAG. « La création de cette intuition a pour objectif la formation des jeunes ruraux dans le domaine agricole afin de servir l’avenir de cette région agricole en fournissant une main-d’œuvre qualifiée qui accompagne le développement technique et scientifique du secteur agricole », nous explique M. El Habib Ait Taleb, directeur de la MFR- El Guerdane. Il ajoute que : « L’alternance reste le point fort de cette formation ; celle-ci permet au jeune stagiaire de penser à bâtir son propre projet à partir des réalités sur le terrain ».
Pour le président de la Coopérative agricole Zaouia, Youssef Jebha, « La mise en place de cette maison sur le territoire de la commune était un rêve. En 2006, la Maison reçoit la 1ère promotion d’élèves-apprentis dont le nombre était très réduit. Le défi était donc de convaincre les parents et ces élèves déscolarisés, au niveau de la 4ème année collège, à s’intégrer dans ce nouveau concept d’apprentissage. De nos jours, la Maison reçoit même des étudiants universitaires qui cherchent se former dans le secteur agricole ». (Sebt El Guerdane, Conférence internationale du mouvement MFR, 19 janvier 2023).
« La MFR- El Guerdane fait partie d’un réseau marocain pour l’éducation et à la formation des jeunes ruraux, filles et garçons, enfants des agriculteurs, des ouvriers et de professionnels de secteur, qui ont abandonné leurs études pour des raisons ou qu’ils souhaitent suivre une formation professionnelle agricole », explique M. Abed Bounit.
Il ajoute que les objectifs de la Maison est « de remplacer les parents dans les exploitations agricoles familiales, développer la personnalité des jeunes, le territoire et de lutter contre la déperdition scolaire, former des jeunes capables d’assumer des responsabilités et de réaliser leur projet personnel, de préparer la citoyenneté chez et la responsabilité chez les apprenants ».
Fier d’appartenir à cette Maison, des jeunes stagiaires interrogé ont fait part de leur sentiment au sujet de cette formation au sein de la MFR-Sebt El Guerdane : « Nous sommes fiers, nous jeunes stagiaires, de cette maison crée de la volonté de nos parents, des agriculteurs. La formation par alternance nous plait énormément car elle nous a permis de faire des stages, en grande partie, sur le terrain, dans des exploitations et en contact direct avec les professionnels en agriculture. Elle nous a assuré une relève réussie dans le domaine agricole afin de participer activement au développement de notre territoire », a expliqué une stagiaire.
Une maison en forme d’école où ces jeunes suivent une formation en alternance : 20% de cours théoriques au sein de la Maison et 80% dans les exploitations agricoles. La particularité de la Maison est l’engagement des moniteurs à la fois de dispenser des cours au sein de l’institution et l’accompagnement de ces jeunes au cours des séances pratiques. L’autre particularité de la Maison est son ouverture sur le sexe féminin, « une forme à la promotion de l’équité genre dans le secteur agricole », nous explique M. El Habib Ait Taleb . La Maison reçoit à chaque promotion une dizaine de jeunes filles désirant faire le métier d’agricole, autrefois limité à l’homme. Ces filles ont réussi de développer une certaine capacité d’adaptation et d’intégration dans le secteur agricole.
Le programme de formation est réalisé selon une pédagogie de l’alternance conforme avec la loi 12.00. Les principes de base de la pédagogie au sein de la Maison sont : le respect, l’écoute, la confiance en soi, le développement de sa personnalité, la responsabilité de prendre ses propres décisions, l’autonomie, la mobilité. L’approche pédagogique vise à pousser les jeunes à élaborer leurs projets à travers ses contacts des acteurs locaux ou de la région.
Le système d’internat à 100% et gratuit permet à ces jeunes « de vivre ensemble, d’apprendre à gérer sa vie soi-même ». La Maison offre à ces jeunes une formation qualifiante selon les spécialités dispensées par l’établissement. Elle propose des formations adaptées qui répondent directement au besoin du secteur en techniciens et surtout en main-d’œuvre qualifiée au niveau de la zone agricole El Guerdane.
En 2006, l’année d’ouverture de la MFR-El Guerdane au sein de la Coopérative El Guerdane, l’établissement est installé dans un local très modeste : une salle de formation et un dortoir. Grâce à l’engagement des adhérents et parents d’élèves, le soutien de la Coopérative agricole El Guerdane, la Coopérative agricole Zaouia et la Coopérative agricole COPAG, la commune s’est dotée d’une MFR répondant aux normes nationales et qui répond aux attentes des jeunes élèves et leurs familles. Aujourd’hui, cette institution copte des salles de formation avec des équipements modernes, un bloc administratif, une bibliothèque et une internat moderne. « La modernisation de notre établissement vise offrir à nos jeunes les meilleures conditions de formation afin de bien réussir leur parcours » ; M. El Habib Ait Taleb.
Après 20 ans d’existence sur le terrain, la Maison a enregistré a enregistré la formation de plus de 509 lauréats et un un taux d’insertion socioprofessionnel de 90%. Cette insertion est de forme de projets personnels, d’une main d’œuvre qualifiée ou une poursuite de formation des écoles d’agriculture. les ambitions du mouvement sont encore à prendre en considération par les instances officielles afin de mieux réussir et ensemble le pari de l’insertion et du développement des territoires agricoles via une ingénierie de formation motivée par la réponse aux besoins concrets et réels.
Pour l’année scolaire 2023, la Maison a reçu 142 élèves. La plupart de ces jeunes souhaitant une formation professionnelle agricole répondant à leurs ambitions sont issus des collectivités territoriales environnantes. Ce nouveau concept de formation reflète de nombreux changements parmi les jeunes locaux qui voient dans la formation professionnelle agricole, selon la pédagogie de la formation en alternance, un tournant important dans leur vie pour l’intégration socio-économique, d’autant plus que la majorité d’entre eux sont inscrits à l’université. Grâce à une formation qualifiante, de courte durée, la Maison répond au grand besoin d’emploi des jeunes de la région, issus du monde rural.
A la fin de la formation, les jeunes apprentis sont appelés à des examens écrits pour évaluer leurs acquisitions et une évaluation orale devant un jury qui vise le titre final, le diplôme professionnel.
En conclusion, la participation des MFR dans le système de formation par apprentissage est d’une grande importance pour la formation de jeunes issus du monde rural disposés à développer le territoire local. Cependant, l’Etat doit encourager cette expérience en leur procurant des moyens financiers, une stabilité et des ressources humaines (formateurs, administrateurs) de haut niveau.
- loi 12-00 (dahir n° 1.00.206 du 19 mai 2000 portant institution et organisation de la formation par apprentissage : La loi 12.00 mise en place par le gouvernement a encouragé à la création de centres de formation par apprentissage, telles : les MFR. Cette loi a facilité les conditions d’accès des jeunes élèves qui ont abandonné l’école, pour différentes raisons, aux différents d’agriculture. Le modèle des MFR devenu une complémentarité dans la formation professionnelle de ces jeunes, d’âge d’adolescent. Cette nouvelle structure a pour objectifs d’accompagner ces jeunes dans la réalisation de leurs projets personnels, l’implication des parents, une participation au développement durable local.