Tiznit : Quand la ville change l’argent en bijou

Date:

Halimi Abdallah ([email protected])

« Tiznit est le centre de production le plus important de l’orfèvrerie des bijoux en argent au Maroc ».  Zainab Diouri (Musée national de la parure, Rabat)

« La ville de Tiznit est devenue la capitale de bijoux en argent, par excellence » (Mohamed CHTATOU, Professeur de sciences de l’éducation).

« L’orfèvrerie d’argent à Tiznit, un art ancestral qui a été étroitement lié aux Marocains de confession juive, qui veillaient à transmettre ce savoir-faire aux autres artisans » ; (Abdelhak ARKHAOUI, président de l’association des bijoutiers de Tiznit).

« Les Marocaines considèrent la possession de bijoux comme un signe de prestige et de réussite sociale. Ils sont à la fois pour les occasions heureuses et une forme d’épargne, de réserve pour les moments difficiles ». (Saâdia Elhariri ; Les Marocains au cœur d’un circuit d’échanges marchands : entre ici et là-bas ; Revue européenne des Migrations Internationales ; 2003)

Le secteur de l’artisanat au niveau national

« Le secteur de l’artisanat est devenu un secteur clé dans le développement durable de notre économie nationale car il génère une valeur ajoutée économique et sociale », Chef de gouvernement Aziz Akhannouch, Salon National de l’artisanat, édition 2024.

A la fin de l’année 2024, les chiffres clés de l’artisanat ont enregistré un Chiffre d’affaires de 76,4 MMDH, soit une  contribution de 7%  au PIB ; environ 40 MMDH en valeur ajoutée exportation de l’ordre de 1 MMDH et une contribution de 22% à l’emploi.

La filière bijouterie a une participation intéressante dans notre économie nationale. Selon les chiffres de l’année 2020, le secteur a participé à la création de plus de 8.000 emplois-artisans, avec une contribution de plus 1,59 MMDH comme Chiffre d’affaires, soit 2,2% du CA de l’artisanat traditionnel productif. (MAP)

L’industrie artisanale de Tiznit

Les métiers artisanaux et les industries traditionnelles dans la province de Tiznit occupent une large part de son patrimoine authentique. Le plus célèbre reste la fabrication de bijoux en argent, qui jouit d’une excellente réputation au niveau de la région en particulier et du Maroc en général. Cette industrie est un symbole de l’authenticité des habitants de la province, et de la ville de Tiznit en particulier, et où les artisans s’efforcent de préserver cette tradition aux côtés de nombreuses autres industries artisanales.

A Tiznit,  les bijoux ne symbolisent  pas simplement des objets portés par les femmes, mais « un art d’une histoire ancienne à laquelle l’Homme s’est ‘intéressé depuis toujours ». Les artisans de la ville  excellent dans la fabrication de bijoux et y apportent une créativité qui reflète les caractéristiques de leur personnalité, leur environnement, leur mode de vie et son amazighité.

Dans la région, les bijoux n’étaient pas un simple objet juste pour orner le cou d’une femme.  Pendant la période coloniale, « les femmes du sud portaient ces bijoux comme ornements leur permettant de se déplacer facilement à travers les villages et douars  en prétendant être invitées à un mariage ou une festivité locale. Cette ruse leur permettait de transporter de la poudre à canon et des munitions aux membres de la résistance sur le front, en cachant la poudre dans les bijoux, faisant ainsi office de moyen pour faire passer des armes de la résistance ».

La maison  « Tigmi N’Kourt » : Symbole de l’authenticité de la joaillerie

La maison  « Tigmi N’Kourt », à proximité de la place de «  Mechouar » et du Palais du sultan, reste le symbole de cette authenticité de la ville.  De nos jours, la maison se qualifie  m par son architecture vieille qui témoigne de  l’ancienneté de l’industrie artisanale des bijoux en argent. Autrefois, elle accueillait des artisans, aujourd’hui ces « mâalam » sont peu nombreux car certains ont préféré s’installer  dans les différentes « kissariat de bijoux » de la ville.

Notre visite à cette maison,  en 2023, nous a permis de découvrir ce symbole de la bijouterie de la ville. On était impressionné par ce vieil artisan qui reste attaché à ce lieu. Installé devant  une petite table, il travaille l’argent avec ses outils traditionnels. Il y grave des dessins qui racontent la culture amazighe riche par ses formes et motifs uniques. « J’ai eu l’occasion d’être un apprenti, dans cette maison, des maîtres joailliers de cette industrie. Je continue, avec mes outils modestes, de confectionner des objets traditionnels. Je passe des heures entières dans ce modeste  atelier à fabriquer des bijoux en argent, en utilisant des moules traditionnels  inspirés d’anciennes sculptures amazighes », nous raconte-il.

 

L’orfèvrerie, une industrie aux origines juives.

Les bijoux de Tiznit et son arrière-pays se distinguent  par leurs motifs et dessins de variétés différentes car la région a connu des mouvements humains, en particulier juive. «  Ils étaient les maitres des orfèvres de la ville, car ils ont été les premiers à découvrir la mine d’argent d’Anzi, puis ils ont commencé à le travailler, et après cela, les marocains sont devenus des apprentis chez eux ». Depuis,  « la ville de Tiznit est devenue la capitale de bijoux en argent, par excellence ».  (Mohamed CHTATOU ; les Juifs de Tiznit ; OPS & Blog ; avril 2023).

« Les artisans locaux, qu’ils soient musulmans ou juifs, ont excellé dans l’innovation de bijoux portant des valeurs esthétiques créatives, que ce soit par l’utilisation d’un type unique et distinctif de métal argenté ou par l’emploi de diverses techniques et méthodes dans la fabrication des bijoux, comme la technique du ‘filigrane’, l’argent ciselé, les maillages « la signature de Tiznit et ses alentours », Z. DOUIRI. Ces techniques  s’inspirent de méthodes, de formes et de designs issus du patrimoine local, tout en évoquant les éléments artistiques et les symboles culturels aux multiples influences. Toutefois, devenir artisan confirmé dans l’art du filigrane demande des années d’apprentissage, car cette technique minutieuse exige une maitrise de l’art de la bijouterie.

L’orfèvrerie une source de développement de la ville

Cette industrie artisanale est un élément qui distingue la ville de Tiznit, il représente un patrimoine culturel local populaire et humain. La fabrication et le façonnage de l’argent constituent une ressource de développement, ils  contribuent à un développement économique local, car ils offrent de nombreuses opportunités d’emploi et une ressource économique et sociale importante.

En outre, cette activité est un pilier de cohésion et de solidarité. L’artisanat de la bijouterie en argent couvre presque toutes les régions de la province de Tiznit, tant en milieu urbain que rural, avec plus de 1000 artisans et artisanes traditionnels travaillant dans ce secteur. (Délégation de l’Artisanat Tiznit)

La ville de Tiznit a réussi, à travers des temps, à conserver sa position de leader dans le domaine de la bijouterie en argent et ce grâce à l’habileté et au savoir-faire de ses artisans. La participation des artisans dans le développement de cette industrie artisanale a contribué à préserver ce patrimoine culturel authentique et diversifié malgré les effets de l’influence étrangère,  la mondialisation, la modernisation  des outils de travail, la concurrence étrangère, surtout de la Turquie.

Ces bijoux sont ornés de différentes couleurs, chacune ayant une signification particulière. La couleur verte symbolise la fertilité, tandis que la couleur bleue représente la tranquillité et la paix, et la couleur rouge est associée à la vie, à la force et au courage. De plus, ces bijoux en argent varient en taille et en forme, ce qui les rend accessibles à tous en termes de valeur. Ainsi, les créations artisanales des villages de la région diffèrent de celles fabriquées à Tiznit, Chef-lieu de la province, bien qu’elles se ressemblent souvent par les gravures et les détails qui ornent les divers types de bijoux de la région.

Des bijoutiers à l’œuvre

Dans leurs ateliers, les artisans s’attachent à fabriquer les bijoux et les parures d’inspiration amazighe avec précision et habileté «  Il suffit de prononcer le mot Tiznit quand il s’agit d’un objet en argent pour avoir toute l’attention des négociants internationaux », (Zainab Diouri, Conservatoire national de la parure, Rabat).

En effet, les artisans restent attacher à ce métier, ils transforment, avec leurs outils, leur  passion  en un message de vie, les  métaux en forme de bijoux d’art. « On porte sur nos épaules la mission de préserver cet art vieux de plusieurs millénaires que nos ancêtres ont bien développé au fil des années », me fait savoir un jeune artisan. De nos jours, l’argent reste toujours un objet très populaire et  prisé par les femmes amazighes du Sud du Maroc.

Grâce à leur savoir-faire, les « mâalams » ont su mettre en œuvre des objets de valeur et  qui nécessitent beaucoup de patience et de temps, surtout les fibules, les parures, les colliers, les bracelets de formes  robustes et très grands. « Cela nous donne plus d’indications sur le statut de ces  femmes, qui avaient une certaine aisance financière vu la taille de ces bijoux ». ( Zainab Diouri, Conservatoire national de la parure, Rabat ; medias 24 ; juillet 2023) ;

Aujourd’hui une nouvelle génération de créateurs s’appliquent à moderniser ces bijoux mais tout en gardant leur authenticité et ce à travers des nouvelles techniques, des designs modernes. Par leur savoir-faire traditionnel, ils tentent créer de nouveaux styles, de nouveaux motifs de bijoux en argent tout en gardant cet aspect culturel amazigh aux formes miniaturées et ce pour répondre aux besoins de toutes les femmes, et à toutes les bourses.

La fibule : Joyeux objet, une identité du sud marocain

Le port des bijoux est une forme de rappel aux origines, il exprime aussi ce lien profond et sacré avec la femme,  « Les bijoux sont toujours propriété des femmes et ils s’héritent de mère en fille », Joseph Giralt, Afkar/Idée, 2005.

 « La fibule est le bijou le plus symbolique dans les zones rurale du Maroc », (Zainab Diouri). Au sud du Maroc « Tazerzet » en tamazight, est un bijou  symbole de fierté. Elle représente une identité authentique des habitants de la ville de Tiznit et ses environs.

Au fil du temps, la fibule est considérée dans la région comme un objet symbolique et dont la fabrication a été marquée par cette trace amazigho-afraicaine. C’est un objet d’une grande valeur chez les familles, elle est l’objet de transfert d’une génération à l’autre. La fibule est un bijou en forme de broche associé au vêtement que porte la femme, l’izar.

La fibule occupe donc une importante dans la vie de la femme, elle est à la fois un symbole de richesse, une représentation sociale, en se parant de ses bijoux, « la femme portait sur elle la fortune de la famille, et faisait en quelque sorte une “banque ambulante” ». . D’autre part, la fibule  incarne une spiritualité qui marque l’existence de la femme amazigh et religieuse car ce bijou a une présence continue dans les diverses festivités religieuses.

Orfèvrerie : Authenticité et modernité

A l’occasion de la 11ème  édition du Festival Timizart d’Argent, août 2023, des jeunes bijoutiers exposaient un produit marqué par de nouveaux motifs et formes variés. « Autrefois, nos ancêtres fabriquaient des objets en argent de grandes formes, aujourd’hui on cherche donner à cette industrie artisanale une nouvelle tendance avec un savoir-faire moderne mais en préservant son authenticité afin de garder sa valeur esthétique et culturelle », nous explique un jeune artisan. Ces nouvelles tendances attirent de plus en plus les fans des bijoux en argent, «Nous sommes émerveillés par la qualité de ces objets et la beauté des formes », nous raconte un visiteur.

A travers les différents stands, on a assisté à une valorisation de ce patrimoine culturel et artistique, propre à la ville de Tiznit, par ces nouveaux styles de bijoux, « On a introduit de nouvelles techniques qui nous permettent à la fois de créer de nouveaux designs et gagner de temps dans la création d’une œuvre moderne avec des signes traditionnels et authentiques », nous fait savoir ces jeunes « mâalam » . mais pour répondre aux besoins des clients de plus en plus nombreux,  le manque de matière première pousse ces artisans à la refonte et le moulage en utilisant des machines de fonderie pour transformer les anciens bijoux.

En outre, « Le développement de la branche de l’industrie de l’argent comprend l’équipement du Complexe de l’artisanat de Tiznit avec de nouveaux matériels  d’orfèvrerie  et la création de nouveaux magasins,  « kissariat »  pour améliorer le processus de commercialisation », Abdelhak ARKHAOUI, président de l’association des bijoutiers de Tiznit

Cependant, la conservation de cette industrie artisanale en tant que « mémoire collective » des habitants de la ville de Tiznit est nécessaire et ce pour protéger cet héritage des ancêtres.  « L’importance de la formation des jeunes filles et garçons ayant quitté l’école dans le métier de la joaillerie par le biais de l’apprentissage en alternance et la création d’une section d’orfèvrerie  en argent au centre de formation professionnelle de la ville afin de préserver ce métier ancetral»,  Abdelhak ARKHAOUI.

Festival Timizart d’Argent

 

Pour participer à la valorisation de cette industrie artisanale, la ville accueille le Festival «Timizart», un événement annuel organisé par l’Association Timizart d’Argent de Tiznit. L’évènement a pour objectif de mettre  en valeur l’orfèvrerie argentée,  un savoir-faire ancestral, un patrimoine historique de la ville.

L’année 2024 sera au rendez-vous avec la 12e  édition,  du 24 au 29 juillet 2024 sous : «  Le thème de cette année est «l’orfèvrerie d’argent: identité, créativité et développement». Cette édition « vise à mettre en avant l’importance de l’orfèvrerie comme pilier de développement économique de Tiznit ».
 Chaque année une cinquantaine de participants, artisans et vendeurs exposent au public les derrières nouveautés de la bijouterie.

Un hommage

La ville de Tiznit a connu des bijoutiers artisans qui ont travaillé pour que la bijouterie soit un artisanat à valeur historique et artistique. Parmi ces artisans  le maître Othman AMARIR, un artisan qui avait depuis son jeune âge une grande passion, un amour infini à ce métier. Sa grande connaissance de la matière, l’argent, lui permettait une  maitrise de transformation en précieux et joyeux bijoux créés sur mesure avec une grande précision. Il savait sélectionner la meilleure matière, la bonne pierre pour son ornement. « C’est un maitre joaillier qui portait un vibrant amour à son métier. Il comprenait son travail et essayait de traduire ses rêves dans ses créations artistiques, traditionnelles », nous raconte ses arrière-enfants installés à Agadir.

Mâalam Othman confectionne ses objets minutieusement à la main avec des signes traditionnels marquant la vie sociale de la ville de Tiznit dans les années cinquante.

Dans sa petite boutique au coin de « Tigmi N’Kourt », mâalam s’appliquait avec ses outils de créer ses œuvres tout en s’occupant de l’ensemble de maillons de la bijouterie : la fonderie, le maillage … à la création de ses œuvres en argent pur.

« Son amour au « Ribab », instrument musical des Rrayss, qu’il maitrisait,  lui inspirait l’idée d’orner en argent le « ribab » de son ami Raiss Lhaj Belaid, un chef d’œuvre de grande qualité esthétique », ajoute son arrière-fils. En parcourant cette œuvre, le « ribab », on comprend son amour et son fidèle attachement au métier de la bijouterie.

Son talent et son professionnalisme lui ont permis d’être choisi « lamine » des artisans. Cette responsabilité le poussait à transmettre son savoir-faire, sa passion et son amour pour cette matière aux jeunes artisans dans le but de garder en vie cette industrie propre à la ville et son arrière-pays.

.Sources :

  • Maghreb Arab Press (MAP)
  • Bulletin « mtaess.gov.ma »
  • Media24
  • Revue « Zamane » ; (juin 2020)
  • Revue « Zamane » ; (octobre 2023)
  • « Bijoux Arabes et Berbères du Maroc » ; Jean Besancenot ; photographe, ethnographe français
  • Amadalamazigh

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Share post:

Popular

More like this
Related

La Fondation Montresso* présente son projet éducatif MAABART

Halimi Abdallah ([email protected]) Dans le cadre de son programme de...

Taroudannt : Un nouvel ouvrage historique et culturel de le Grande Mosquée

Le chercheur a publié récemment son ouvrage intitulé "La...

Agadir : Hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) en août 2024

L'indice des prix à la consommation (IPC) dans la...